lundi 20 janvier 2014

Eddy Mitchell et ses "héros"

Un nouvel album d'Eddy Mitchell, c'est un événement, la suite d'un feuilleton aux nombreux épisodes commencé aux temps lointains des "chaussettes noires".

  Son dernier album "Héros"
« Je n'écris pas les textes en premier, c'est  la mélodie qui amène les images. » Eddy Mitchell

En 2011, Edy Mitchell fait ses adieux à la scène mais pas à la musique, témoin ce nouvel album "Héros" [31] où il est accompagné par de grands musiciens : Booker T. et Steve Cropper, (label stax) du pianiste Bill Peyne et d'une "vieille connaissance", Charlie mc Coy à l'harmonica et la guitare. Ceci ne l'empêche pas de remonter sur scène en janvier dans une version théâtrale de "Un singe en hiver" avec Fred Testot juste après avoir terminé le dernier film de Claude Lelouch intitulé "Salaud, on t'aime" avec son "vieux pote" Johnny Halliday.

C'est comme un cadeau dont on tire délicatement la ficelle, découverte de ses nouvelles chansons bien sûr, curiosité aiguisée par la comparaison avec ses albums précédents, son retrait de la scène dans son refus du "come back"... et cette question implicite : qu'a-t-il donc à nous dire à travers ses nouveaux textes et la musique de son "vieux complice" Pierre Papadiamandis ?

Première écoute, premières impressions : ravissement de retrouver ses thèmes récurrents -on est en pays de connaissance, depuis le temps- des textes forts qui traduisent ses engouements et ses obsessions, découverte devant l'inattendu comme "Léo", cet hommage étonnant à Léo Ferré, qui plus est concocté par sa femme Muriel. De l'inédit et une belle réussite.

Première description : 11 chansons dont 6 Eddy Mitchell -pardon Claude Moine- avec Pierre Papadiamandis et une avec Michel Amsalem, deux adaptations d'Eddy dont une chanson d'Otis Reading, deux surprises avec la chanson sur Léo Ferré et un duo avec Nolwenn Leroy.

Au fil des écoutes, les textes se décantent, nostalgie, difficultés, mal de vivre fondent la trame de beaucoup de textes, le fil directeur de l'album. J'y retrouve ses thèmes récurrents qu'il chantait par exemple dans ses albums précédents Jambalaya et Come Back -si l'on excepte son album de reprises Grand Ecran en 2009- où disait-il, « on veut des légendes, des légendes à consommer tout'prêtes sur commande, » un regard désenchanté sur le réel « j'suis comme la planète, j'me réchauffe mais ça me laisse froid » ou « dur de stationner/Encore moins de s'aimer/Les gens ne s'parlent plus/dorment dans l'auto... » [21]

         
«
Parfois, Eddy a juste l'idée d'un titre comme "Lèche-botte blues", et on part de là. » Pierre Papadiamandis


On retrouve dans cet album l'esprit de Come Back, mouvements de pendule entre un goût certain pour la nostalgie ( « la nostalgie est faite de ça » chante-t-il justement dans la chanson éponyme) et les embellies qu'il distille par petites touches pour faire la part des choses et prendre du recul car « des adieux, des regrets, » [23] finalement c'est pas pour lui. Nostalgie qui rythme l'album Come Back quand tout allait mieux, tant il est difficile « d'avoir 16 ans aujourd'hui, » qu'il était souvent perdu dans ses rêves, « l'esprit grande prairie, » [23] alors que maintenant  « j'suis vintage mais recyclable. » [23] Alors, quand la vie « ça ressemble à du blues, » [24] pour « surmonter la crise, » il faut se résoudre à « faire chauffer la carte bancaire. » [24] Mais malgré tout, il vaut mieux « laisser le bon temps rouler, rouler, » et tout bien pesé, je suis « un garçon facile » qui garde toujours le moral et « l'esprit rock n'roll. » [24]
 
J'y retrouve ce spleen où les héros modernes ne sont plus fantasmés comme Superman mais deviennent plus humains et parfois même « dorment dans l'auto. » [2] Le poids du quotidien qui nous vient de loin -de Société anonyme et de Il ne rentre pas ce soir- touche ces familles nombreuses, ceux à qui on avait «promis la lune, » [1] quand « à la fin du mois, c'est l'alarme [...] Tu tapes... tes proches pour éviter le goût des larmes, » [1] quand, même « l'amour au quotidien se révèle incertain. » [5] La culpabilité vis-à vis de soi-même ou des autres suscite un besoin d'évasion, de se distancier du présent quand « c'est que je suis dans mon tort, il faut bien rêver. » [6] Le rêve est aussi une fuite, cette espèce d'isolement dans le collectif que peuvent créer les réseaux sociaux quand « t'es pas doué pour l'amour, » [7] quand tout devient virtuel, piloté par internet, il est un expédient au quotidien qui éloigne de l'amour, « tu tolères, tu subis, t'es tout seul, tu stresses, t'es mal. » [9]


Eddy dans "Cuisine américaine" avec Irène Jacob

Au-delà de la nostalgie qui se dégage de « où est passé ma ville, le parfum des filles, » "J'veux qu'on m'aime", [6] titre provocateur qui se suffit à lui-même, besoin d'amour pour compenser, pour oublier que « j'suis dans mon tort, » conjurer la solitude du détenu qui a « pris ferme avec mon bracelet au poignet, » un mec venu tout droit de la route de Memphis. On retrouve aussi ce contrepoint optimiste de Jambalaya quand, chantait-il, « toutes les caresses sont bonnes à prendre. » [22]

 
 
Clin d'œil obligé au cinéma avec cet hommage qu'il rend à Hitchcock, plein d'images, plein de références à ses films, de celui qui possédait le "final cut". [8] Alors quand même, au-delà des "premiers printemps", « vieillir est vraiment un jeu d'enfant. » [3] Rien n'est vraiment sérieux puisque chante-t-il, «je n'envoie pas d'messages, » simplement chanter pour faire rêver, s'évader du quotidien et prendre tout son temps « pour tuer, tuer le temps, » [4] pour chanter encore « doucement pour tuer le temps, dum, dum, dee, dee... » [4] Même qu'après la dernière chanson, il est « aux anges » dans le final qu'il présente avec son compère Jean Dujardin sur une musique de cet autre "vieux complice" qu'est Michel Gaucher, un clin d'oeil... dans le même jus que dans Jambalaya avec son final chanté en cajun où la recette tradition du Jambalaya est donnée par Mr Eddy himself...

Il instille aussi cette même volonté de surprendre qu'on trouvait déjà -sans remonter plus avant- dans Jambalaya avec ce clin d'œil déjanté qu'est "L'arche de Noë revisitée" ou "Paloma dort", [22] chanson surprise sur un texte de l'écrivaine Marie Nimier.

       
L'album Jambalaya                                                  Le jambalaya, plat cajun


Complément : interview d'Eddy Mitchell, 2013

- Dans l’une des chansons, vous dites que « vieillir est un jeu d’enfant ». C’est juste pour la rime ou c’est un constat personnel ?
- Eddy : Les deux. J’ai passé le cap des soixante-dix, sans aucun problème. C’est celui des cinquante qui a été un peu dur. Peut-être aussi parce que c’est le moment où j’ai appris que j’allais être grand-père. Ça m’avait fichu un coup!
- « L’amour au quotidien se révèle incertain », chantez-vous. Etes-vous un pessimiste?
Eddy : Je suis un pessimiste heureux. Je prends les choses comme elles viennent.
- En amour aussi ?
Eddy : L’amour fait tellement partie de la vie qu’on pourrait le négliger. Il faut faire gaffe. (...)
(...)
- Vous chantez les héros. Quels sont ceux qui vous font encore rêver ?
Eddy : Il n’y en a pas justement ! (...)
- Dernièrement, vous avez réglé ses comptes au gouvernement : Hollande, Ayrault, Valls… Ça vous donne envie d’aller voir ailleurs?
Eddy : (...) Un temps, j’ai envisagé en effet d’aller en Belgique – aussi parce que j’adore ce pays.
(...)
- Dans dix, quinze ans, vous vous imaginez où?
Eddy : Je ne me projette pas au-delà de quatre, cinq mois.
(...)
- Que dirait le gamin que vous étiez de l’homme que vous êtes aujourd’hui ?
Eddy : Je crois que ça le ferait marrer. A l’époque (...) j’étais un jouisseur. Je le suis resté d’ailleurs. De ce point de vue là, finalement, je n’ai pas beaucoup changé.
- Vous venez de tourner un film avec votre copain Johnny, sous la direction de Claude Lelouch. L’heure était-elle aux souvenirs ?
Eddy : Pas du tout non, c’était plutôt « Où est-ce qu’on va diner ce soir ? (...) » (...)
- Prochainement vous allez jouer Un singe en hiver au théâtre. Après Le temps des cerises, en 2008, avec Cécile de France, vous aviez dit que le théâtre n’était pas votre « truc »…
Eddy : Ça ne l’est toujours pas! Mais je me suis piégé tout seul ! (...)
- Vous aviez coproduit la série Chez Maupassant sur France 2 (...). Vous n’arrêtez pas en somme ! Avez-vous peur du vide ?
Eddy : Du vide, non, mais de m’emmerder, oui !(...)
- Vous avez un petit-fils de vingt ans. (...) Comment vous appelle-t-il ?
Eddy : (Il grimace) Papy ! Ça ne me plait pas du tout ! Mais il continue, je crois qu’il le fait exprès ! (Il rit)

     Eddy et sa femme Muriel : « Je suis un pessimiste heureux. »

Les chansons de l'album Héros
[1] Le goût des larmes                                     [2] Les vrais héros
[3] Premiers printemps                                   [4] Pour tuer le temps
[5] La cour des grands                                    [6] J'veux qu'on m'aime
[7] T'es pas doué pour l'amour                       [8] Final cut
[9] T'es seul, tu stresses, t'es mal                    [10] Léo
[11] La complainte du phoque en Alaska

Autres références
[21] Chansons n°6, 3 et 9 de l'album Jambalaya (album 31 d'octobre 2006)
[22] Chansons n°5, 7 et 8 de l'album Jambalaya
[23] Chansons n°13, 1, 3 et 4 de l'album Come Back (album 33 d'octobre 2010)
[24] Chansons n°9, 10, 2, 8 et 12 de l'album Come Back
[31] "Héros" est son 34ème album, et même 35 ème si l'on compte l'album de compilation "Fan album" paru en 1984.
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