Big Band 2015
Eddy Mitchell 2015
Il est bien là Eddy Mitchell version 2015, rocker-swinger poivre et sel qui se frisotte la barbe d’un air bougon, la voix grave distillant ses vérités l’air de rien, décontracté et pas trop envie de se prêter aux interviews. Mais faut bien sacrifier aux convenances… et à sa maison de disques comme il le chante dans Lèche-bottes blues.
Le prétendu nostalgique précise que si « les choses changent, c’est pas forcément en mal. » En ce qui concerne les femmes, c’est aussi tranché : « Les femmes sont beaucoup plus fortes… et elles sont plus finaudes… Comme je le dis dans une chanson ("Un cocktail explosif") les femmes simulent, les hommes mentent ».
Son dernier album est certes qualifié de super swing avec grand orchestre centré sur les cuivres… musique, musique bien sûr mais pas seulement. Cette fois, on parle enfin de ses textes, réunifiant ainsi ses deux faces de Janus, l’interprète Eddy Mitchell rejoignant le parolier Claude Moine.
Un album enregistré à Los Angeles, dans ces États-Unis qu’il n’apprécie pas vraiment, s’en tenant à une mythologie basée sur ses deux passions, le cinéma et la musique qui lui rappellent sa jeunesse. Ce qu’il dit dans son interview : « L'Amérique reste un rêve. Je ne vivrai jamais aux États-Unis... De l'Amérique, j'ai pris le meilleur : le cinéma, la musique ». De toute évidence, il préfère vivre à "Paname." » Mais il continue bien sûr de la chanter par exemple à travers Frank Sinatra ("Il faut vivre vite") ou le grand ouest ("Un rêve américain")
Son titre : Big Band, c’est bien, c’est clair mais on a connu plus percutant avec des titres « à la Schmoll » un brin provoc, genre « Ketchup électrique » ou « 7 colts pour Schmoll » … et c’est bien le style swing qui domine. Quant aux textes, ils sont nous dit-on, d’une « revigorante ironie » visant plus particulièrement les préjugés racistes dans une chanson où il rend hommage à Martin Luther King, les mordus d’internet dans "Je n'ai pas d'amis", disant « pourtant Facebook, c'est un truc ridicule. "Veux-tu être mon ami ? Ça va bien, non !" »
« Quelque chose de changé », c’est d’abord une vieille chanson de Sam Cooke, "A change is gonna come" [1], référence au mouvement afro-américain des droits civiques. Chanson sur le thème du racisme où tout le monde (« Noir et blanc dans la rue / Star ou inconnu ») pense la même chose, « Tous unis pour sa cause ». Commentaire d’Eddy : « Martin Luther King avait raison, ça n'a pas beaucoup changé. Ce sont des choses anciennes, toujours malheureusement au goût du jour ».
Évoquant ses adaptations, il dit la difficulté de les "paroler" (on dirait du québécois) Pas si évident. Pour la chanson "Hurt" ("Blesser") par exemple [2], il confie « qu’il faut trouver le mot juste. Parfois, cela me prend des années. » Au départ, il avait prévu 6 adaptations mais certains éditeurs américains se sont révélés trop gourmands… alors il les a envoyé bouler…
Les textes, c’est un peu la même chose : « On peut mettre des années sur une chanson comme on peut en écrire une très vite. "Couleur menthe à l'eau" m’a pris une journée, et au revoir. » Dans ses chansons, ajoute-t-il, même si elles traitent parfois de l’actualité, « J'ai horreur de délivrer des messages. Je fais des constats. Je ne prône pas certaines idées… »
Le grand orchestre ? Pas vraiment une nouveauté, déjà présent dans sa dernière tournée, un truc qui vient de loin, déjà en 1963, il enregistre une version de "Be-Bop-a-Lula" pour grand orchestre, fan (déjà) de Sinatra et de son album « Come dance with me ». Big Band et uniquement pour des concerts parisiens au Palais des Sports ; les tournées, c’est bien fini, terminés les bouffes minables et les hôtels qui le soir suent la solitude.
Les deux potes Avec Muriel
Alors, quoi de nouveau en 2015 sous le soleil schmollien ?
Eddy avait quelque peu délaissé les adaptations dans ses derniers albums pour renouer ici avec cette tendance qui a largement participé à son succès. Rappelons-nous son album Rocking in Nashville en 1974 avec plusieurs adaptations de Chuck Berry et les arrangements de Charlie Mc Coy.
Alors, « résolument hors mode Eddy », comme écrit un journaliste ? Qui persiste et qui signe. N’est-ce pas la marque des Grands que d’être « hors mode », c’est-à-dire littéralement indémodable !
Notes et références
[1] Chanson écrite par Sam Cooke en 1963, chanteur qui mourut mystérieusement à l’âge de 33 ans, qui connut de nombreuses reprises dont celles d'Otis Reading, The supremes, Aretha Franklin ou Tina Turner
[2] "Hurt" a été enregistrée à l'origine par Nine Inch Nails (composée par trent Reznor) puis adaptée et reprise par plusieurs artistes, dont Johnny Cash en 2002 et Leona Lewis.
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<< Christian Broussas – Eddy Mitchell 2015, 7 novembre 2015 - © • cjb • © >>